Quand le miroir ne reflète plus la réalité

Par Caroline Murray

20 ans déjà…

Il y a 20 ans, je sortais d’un trou noir dans lequel je m’étais moi-même lancée quelques années auparavant : l’anorexie.

Petit à petit, ma santé mentale a commencé à tournoyer. Je perdais le contrôle, je me cherchais en tant que jeune adulte et j’avais peur de ne plus exister pour le monde autour de moi.

Ironiquement, ma façon de reprendre les rennes de ma vie et d’essayer de me prouver que j’étais maître de ma destinée a été d’arrêter de nourrir l’enveloppe que je détestais tant. Je me regardais dans le miroir et j’étais constamment tiraillée entre l’image que je voulais projeter et celle que j’incarnais réellement.

J’ai commencé à voir apparaître sur mon corps les défauts physiques que j’inventais à mesure que mon estime de moi diminuait. Je regardais les autres et je les méprisais d’être aussi beaux et belles, bien dans leur peau, rayonnants. Je leur souhaitais presque d’être aussi malheureux que moi. Je leur inventais une vie si rose que je croyais que j’étais la seule qui perdait les pédales sur la planète. Je maudissais l’Univers de m’avoir faite aussi minable, aussi misérable.

Je broyais du noir, et la seule chose qui me sortait la tête hors de l’eau par moment, c’était quand je montais sur la balance et que je réalisais que j’avais perdu de la masse. Plus le chiffre descendait, plus je jubilais; j’étais si fière de moi.

Mais j’ai perdu la notion du temps et la raison. Je ne pouvais plus m’arrêter, car si je recommençais à vivre et manger normalement, je perdrais toute cette dignité si difficile à atteindre. Les honneurs, je me les offrais par tranches de 2-3 kilos. C’est là que la déroute s’est étalée devant moi. Je devenais l’ombre de moi-même, littéralement. L’adrénaline me tendait la main et me retenais quand j’en avais vraiment besoin. Mais la chute se dressait devant moi.

J’ai frappé le mur. Un matin, couchée dans mon lit, incapable de mettre un pied par terre sans m’écrouler, j’ai compris que j’avais touché le fond. Je pleurais en silence, recroquevillée pour ne pas perdre trop d’énergie à rejeter les petites larmes qui se cachaient au fond de mes yeux vides. Du haut de mes 18 ans et 80 livres, j’ai compris que je ne pourrais plus avancer si je continuais ainsi. C’est une phrase de ma mère qui m’a sauvée : «  J’espère que ta peur de mourir va l’emporter sur ta peur de grossir. » Pour la première fois, j’ai réalisé que je pouvais y laisser ma peau.

C’est à ce moment que j’ai amorcé mon ascension sur la bonne voie. J’ai graduellement repris contact avec la réalité, je ne mentais plus à ma famille et à mes amis sur mes intentions, j’ai mis un nom sur ma maladie. J’ai accepté le fait de ne pas être parfaite, tout comme 100 % des gens autour de moi. J’ai passé trois mois à gratter mes bobos dans un hôpital avec des spécialistes, à réapprendre à ingérer des aliments, à remettre mon pouls au bon rythme, à apprécier ce que la vie m’apportait de beau.

Le soleil est revenu tout doucement, je continuais de chercher la vraie moi, mais à travers un processus plus sain et moins contrôlé. J’ai laissé les professionnels s’occuper de mon physique et je me suis concentrée sur mon âme. J’ai eu mal, j’ai voulu abandonner de nombreuses fois, j’ai supplié ma mère de me sortir de là, mais j’ai toujours gardé en tête que si je voulais réaliser mes 10 000 projets, je me devais de garder le cap vers le haut.

Un esprit sain dans un corps sain.

En février 2000, je me suis enfin libérée de cette prison obsessionnelle. 20 ans plus tard, je n’ai toujours pas une sérénité absolue avec la nourriture, je n’ai pas un regard toujours très positif sur moi-même, mais je remets ma liste de priorités à jour chaque fois que mon esprit vagabonde et s’étourdit. Je quitte le miroir dès que je sens que je me juge.

Je regarde mes deux filles grandir et je me rends à l’évidence : je suis le modèle dans leur vie, je ne les laisserai jamais se critiquer comme moi je l’ai fait jadis. Elles ne comprennent pas pourquoi je leur rappelle à ce point l’importance de se respecter et de s’accepter dans leur entièreté, mais ce que je veux qu’elles retiennent surtout, c’est que l’on naît avec un corps et qu’on doit y faire attention et l’entretenir pour y être confortable le plus longtemps possible. Il ne nous définit pas en tant qu’individu, mais il transporte ce que l’on a de plus précieux.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*